mardi 6 août 2013

[lecture SF] La Fille Automate de Paolo Bacigalupi

« Whaou ! » fut ma première réaction à la lecture de la flopée de prix qu’avait remportée ce livre ; et « Bof… » fut celle que j’eus quand je refermai l’ouvrage fini. Comme je ne vais pas vous laisser sur cette intro lapidaire, je vais entrer dans le détail pour décrire ma déception, et ce, un tiers à la fois.

D’abord, je dois avouer que j’ai failli abandonner la lecture au premier tiers. On nous y présente les personnages principaux : un cadre corpo d’une multinationale d’agroalimentaire à la recherche d’un labo génétique d’où est sortie une nouvelle espèce de légume ; une androïde de plaisir qui s’interroge sur sa condition ; un réfugié climatique chinois, ex-boss criminel ; et un héros de la résistance locale entré au service du pouvoir et en proie à des questionnements éthiques. Tous ces personnages évoluent dans un décor original : une Bangkok en quarantaine auto-imposée pour éviter les attaques de virus et mutations alimentaires, et cachée derrière une énorme digue pour lutter contre la montée des eaux. De plus, pour ne pas dépendre des pays et compagnies caloriques, les Thaïs ont investi dans une forme d’énergie « à ressort » (le fameux suffixe –AR que l’on retrouve partout dans l’histoire et qui n’est expliqué que tardivement). En clair, les ordis sont à pédales, les centrales énergétiques utilisent d’énormes ressorts qu’ils remontent grâce à des pachydermes génétiquement modifiés : en tournant, ils compriment les ressorts qui emmagasinent l’énergie et la restitueront ensuite en se détendant. C’est très exotique, mais c’est très (trop) long aussi. L’auteur tire excessivement à la ligne pour peindre son décor, et cette première partie m’est tombée des mains. Après une enième description de légumes originaux et de marchés alimentaires, je n’avais qu’une idée en tête : renommer ce livre en « La Fille aux Tomates » !

Poussé par l’envie de connaître le fin mot de l’histoire, je poursuivis donc ma lecture au deuxième tiers. Les enjeux commencèrent à être plus clairs, et les différents fils narratifs s’emmêlèrent petit à petit. Donc, mon intérêt remonta. Mais il restait encore le problème de la retape littéraire : après avoir largement tiré à la ligne, l’auteur tente l’accroche sexuelle avec des scènes limite porno et sado-maso pour narrer les (més)aventures de l’androïde du titre. Okay, c’est un modèle destiné à l’exploitation sexuelle mais une bonne scène puis quelques suggestions auraient été suffisantes pour nous faire comprendre la chose. Là aussi l’auteur en rajoute une couche, au point que j’ai été mal à l’aise à la lecture de certains passages. Bref, en finissant cette deuxième partie, j’avais envie d’appeler mon pote allemand pour lui dire : « La Fille, Otto, mate ! » (je reconnais que celle-ci est capillo-tractée).

Arrivé là, je ne pouvais qu’aller jusqu’au bout. 200 pages plus tard, trois rebondissements (dont deux téléphonés) et un dénouement intéressant ont presque sauvé du naufrage cette lecture.

Inspiration jdr :
Le décor de cette Bangkok à la fois paranoïaque et traditionnelle est exploitable dans tous jdr cyberpunk ou transhumain (Transhuman Space, Eclipse Phase, Nova Praxis, Cyberpunk 3.0 ou Interface Zero) au prix de quelques adaptations ludiques.
L’histoire ne demanderait pas de gros ajustements à un meneur de jeu un peu motivé.
Si je ne devais piocher que quelques éléments exploitables facilement, je choisirais les cheschires ou chats de l’enfer (un exemple d’animal génétiquement modifié qui a échappé au contrôle de ses créateurs pour conquérir sa propre niche écologique – c’est plus facile quand on est doté de quasi-pouvoirs psis) ; et la deuxième idée facilement exploitable serait toute la technologie –AR (à ressort) qui donne un cachet décalé à toute la technologie.


Ma note : 2/5.

vendredi 19 juillet 2013

Wastburg, expériences mitigées

Notez le pluriel dans le titre car je vais écrire ici au sujet du roman et du jeu de rôle Wastburg de Cédric Ferrand.

D'abord, et brièvement, le roman. Ce fut une lecture agréable, surtout en raison du style haut en couleur de l'auteur et du décalage de certaines situations avec les canons du genre médiéval fantastique. Par contre, le choix des différents points de vue et une histoire somme toute très banale m'ont gâché l'expérience de lecture. Bref, je refermai ce livre avec une impression mitigée, mais avec l'envie d'explorer plus avant cette cité finement décrite. Alors j'optai pour la solution de tester le jdr éponyme.

Et donc nous voici réunis, mes joueurs habituels et moi pour jouer l'aventure "Tout est gras dans l'verrat" dont le format court convenait à cette soirée de découverte. Présentation de l'univers et création de perso expédiées en 30 minutes, avec l'option de créer des gardoches bernois (aucun de mes joueurs ne connaissant le roman).

4 heures plus tard, et quelques péripéties savoureuses en mémoire, le bilan est "tiède" (pour ne pas répéter mitigé). Mes joueurs ont tous beaucoup d'années d'XP en jdr (plus de 20 ans en moyenne) et force est de constater que les habitudes ont la vie dure. L'univers et l'aventure ont bien plu (grâce au décalage évoqué plus haut, comme dans le roman) mais le système a pas mal refroidi les ardeurs. Derrière mon écran, l'expérience de jeu a été appréciable - pas de jet de dés, que de la description et de la réaction. Mais les joueurs ont eu beaucoup de mal a s'engager dans des actions variées, alors que le principe de la question fermée est très simple. Pire encore, les joueurs ne sentaient quasiment aucune différence entre leurs personnages face à une action donnée.
Je m'explique : les Traits permettent de définir le personnage et c'est une bonne idée. Ensuite, ils sont censés faciliter des jets de dés pour résoudre des actions. Et jusque là, cela se conçoit aisément. Mais le hic, c'est que leur utilisation n'est possible qu'avec la dépense conjointe d'une Aubaine (grosso modo un point de héros - ou de zéros dans cet univers !). Donc pas d'Aubaine = pas d'avantage lié à la définition du personnage. Et ça, c'est plutôt rude. Les seuls modificateurs gratuits proviennent soit des conditions extérieures soit du matériel utilisé.

Prenons un exemple : nos gardoches poursuivent un nourrain qui vient de sauter au-dessus d'une crevasse. Ils s'interrogent "Mon gardoche sautera-t-il sans risque le gouffre ?" Tout le monde lance un dé 6. Et bien, le gardoche avec le Trait "Agile comme un félin" qui n'a plus d'Aubaine aura les mêmes chances que ses camarades. Avouez que c'est un peu dru pour un gars qui voulait que son perso soit connu pour ses prouesses athlétiques !
Le problème se situe aussi au niveau du flux des Aubaines durant la partie. Durant notre test, il y eut beaucoup de résultats "6" qui font perdre une Aubaine à chaque occurrence, et très peu de "1" à l'effet inverse. Passée la première heure, la réserve d'Aubaines communes était vide, et les galères ont commencé.

Ma curiosité piquée, et ma mémoire défaillante, j'ai relu le système FU (Free Universal RPG de Nathan Russell) dont est inspiré celui de Wastburg pour comparer les deux. La base est inchangée (1 dé 6 avec 6 résultats différents) mais les Descripteurs (équivalents des Traits) s'utilisent indépendamment des FU Points (équivalents des Aubaines). Corollaire à cette idée : il faut limiter l'utilisation des Descripteurs en définissant des Scènes (séquences découpant la narration). Voilà l'ajustement ce qu'il manquait pour jouer selon nos goûts, à notre table. Mes joueurs avaient bien intégré le fait qu'ils allaient jouer une bande de bras cassés, mais à ce point-là, ce fut un brin décourageant.

En résumé, si je devais rejouer à Wastburg, j'utiliserais les Traits pour changer le résultat du dé sans la dépense d'Aubaine mais en définissant le cadre de chaque Scène. Et de plus, les PJ pourraient dépenser une Aubaine par Trait correspondant à l'action entreprise une fois par Scène.

Par ailleurs, le jdr en tant qu'objet est excellent : 3 livrets écrits très petits, bourrés d'infos, pas redondantes avec le roman et très complets (règles + univers + scénario). La fiche du GROG est plus complète que moi.

Bref, Wastburg, c'est bien mais avec des joueurs avertis et peut-être quelques ajustements de règles.

samedi 29 juin 2013

L'étonnant Qin

J'ai fait une longue pause en tant que MJ mais un ami a pris le relais, et j'ai pu me retrouver pendant 6 mois du côté des joueurs, avec une campagne de Qin. Maintenant que nous faisons une pause dans cette campagne, j'en profite pour livrer mon ressenti sur ce jdr. Et mon avis est très mitigé car Qin est un vrai paradoxe pour moi : un univers superbe avec des aventures intéressantes mais servi par un système de jeu atroce (évidemment, c'est un avis strictement personnel - ne jetez pas de pierre !).

La Chine antique, ça ouvre des possibilités !

L'univers de l'antiquité chinoise est très inspirant. De nombreux films et anime nous donnent des images, des aperçus de cette culture et quelques idées de concept pour créer des persos intéressants. Le décalage avec notre antiquité européenne est appréciable, ne serait-ce que pour confronter nos préjugés à une réalité historique peu connue sous nos latitudes.
Concernant la campagne (je pense que c'est "l'officielle"), on voit parfois un peu les "rails" mais on n'en apprécie pas moins les péripéties, surtout quand elles sont aussi ancrées dans l'imaginaire asiatique. C'est ainsi qu'après de nombreuses sessions, je commençai à me lasser un peu. Mais une mission a rallumé ma flamme : nous devions prouver avec certitude la qualité d'eunuque d'un important personnage politique, en notre qualité d'agent secret récemment nommé. Et là, ce fut le grand écart : enfin, nous atteignions une position sociale avantageuse (agent secret, ça claque sur un CV), mais dans le même temps, notre première mission consistait en un examen urologique. La grande classe chinoise ! (ou plutôt qinoise).
C'est après cette session que je me suis dit que la Chine antique, ça ouvre des possibilités.

Monsieur le système de jeu, ne montez pas sur la balance. Vous êtes beaucoup trop lourd !

J'en arrive maintenant au point noir, selon ma pratique rôliste du moins : les mécanismes de jeu. Là où les scènes d'action se devraient d'être légères, aériennes, virevoltantes et surtout rapides, on s'est retrouvé avec un pachyderme cacochyme claudiquant. Je ne dis pas que les règles ne tournent pas, elles font dans le classique. Mais en ajoutant de nombreux jets et sous-systèmes, elles s'éloignent selon moi de la profession de foi d'un tel univers de jeu. A chaque tour de jeu, un jet d'initiative, un nombre d'actions variables, un jet pour toucher, un jet pour parer/esquiver et parfois un jet pour activer des Taos (les pouvoirs de l'univers). Ouf ! Et même s'il n'y a pas de jet pour les dégâts, ils ne sont pas fixes car selon le résultat du jet précédent, ils sont variables. Le pire à mes yeux, car contre-intuitif, étant le nombre d'actions par tour qui varie en fonction de la compétence utilisée. Cela a amené à entendre des choses bizarres à la table telles que "Non, je ne descendrai pas de mon cheval sinon je perds des actions !" ou bien "Non, je garde mon arme en main car avec elle, j'ai plus d'actions !".
Et enfin, quand la session s'achève, survient le calvaire de l'XP. Il y a une telle intrication entre les compétences, les caractéristiques, les manœuvres, les Taos, le Chi et les PV que l'on ne sait où donner de la tête. Cela me rappelle l'ancien système White Wolf où il fallait monter conjointement 2 ou 3 valeurs différentes pour espérer obtenir une augmentation dans un pouvoir particulier. Tout se calcule par la bande, indirectement et ce n'est pas ma tasse de thé. En écrivant cela, je comprends maintenant ce qui m'a fait fuir le système de Fading Suns (alors que cet univers est fabuleux - et je pèse mes mots).
Bref, un système trop lourd pour l'univers qu'il veut émuler.

Et si...

Si d'aventure il me prenait l'envie de mener une campagne dans un tel univers, j'utiliserais le système de Feng Shui que j'avais beaucoup apprécié à l'époque de sa sortie. J'essaierais même de reprendre Swords of the Middle Kingdom qui m'avait laissé une bonne impression après deux parties (le système est très fluide mais l'univers présente plutôt une Chine mystique, avec sa bureaucratie littéralement infernale, ses nombreux esprits et démons présents parmi les hommes et ses différentes sectes de kung fu).
Enfin, avec une tablée en pleine forme, j'essaierais définitivement Rivers and Lakes dont le ton free-form laisse une grande part d'improvisation au MJ et aux joueurs concernant les styles de combat et de magie. D'ailleurs une traduction VF doit encore traîner sur le web.

Je retourne maintenant à ma lecture du playtest de la 3ème édition de Mutant Chronicles, et je vous en reparle très bientôt.